Des migrants autochtones latino-américains se réapproprient leur langue au Québec

«Quand les gens me rencontrent pour la première fois, ils assument à tort que l’espagnol est ma langue maternelle», dit Silvia (Wara) Huampu, jeune Bolivienne de 28 ans d’origine mi-quechua mi-aymaras, étudiante en travail social à l’Université du Québec à Montréal. Photo: Valérian Mazataud, Le Devoir.
Par Karla Meza, Initiative de journalisme local (IJL)
Source: Le Devoir

La majorité des immigrants du Québec en provenance de l’Amérique latine sont hispanophones. Toutefois, tous ne considèrent pas l’espagnol comme leur langue maternelle.

Bien qu’il n’existe pas de registre officiel du nombre de migrants autochtones latino-américains établis dans la province, ils sont présents parmi nous. On leur attribue une langue qui n’est pas la leur ; on leur impose souvent une identité. Isolés de leur culture, ils se débrouillent tant bien que mal pour préserver leur langue maternelle.

«Quand les gens me rencontrent pour la première fois, ils assument à tort que l’espagnol est ma langue maternelle», dit Silvia (Wara) Huampu, jeune Bolivienne de 27 ans d’origine mi-quechua mi-aymaras, étudiante en travail social à l’Université du Québec à Montréal.

«J’ai grandi à Tupiza chez mes grands-parents maternels», souligne la jeune brunette au sourire contagieux, arrivée au Québec à l’âge de 18 ans. «C’est grâce à eux que j’ai appris le quechua. Ma mère ne voulait pas que je l’apprenne, elle me disait que je n’arriverais pas loin dans la vie à moins d’apprendre l’espagnol.»

Wara nous confie que cela l’a motivée davantage à apprendre le quechua. «Je suis très fière de mes racines et j’aime transmettre ma culture, mes traditions et même ma langue à mes amis. Je m’identifie particulièrement avec mes amis inuits. Avec mes amis de l’université, nous sommes en train d’inventer une nouvelle langue : le “franchua” !», rigole-t-elle.

Enseigner le quechua en ligne

Au début mars, juste avant le début de la pandémie, Wara a été invitée par le Comité UQAM Amérique Latine (CUAL) à diffuser un atelier de quechua. C’est alors qu’elle rencontre Robbie Penman, étudiant au doctorat en linguistique à l’Université de Montréal. Il est né en Angleterre et passionné par les langues autochtones latino-américaines.

«J’ai été très surprise de l’entendre parler en quechua ! On s’est mis à discuter et depuis ce moment-là, notre amitié s’est développée», raconte-elle.

Robbie a séjourné en Argentine, au Pérou et au Chili à plusieurs occasions depuis l’âge de 18 ans. L’Anglais de 29 ans parle couramment le quechua, le mapuche, le français et le chinois en plus de l’anglais, sa langue maternelle.

«Je devais partir au Chili pour réaliser un projet auprès de la communauté mapuche, mais la pandémie en a décidé autrement. Wara et moi nous sommes mis à pratiquer le quechua ensemble et un jour, nous avons eu l’idée de faire des capsules vidéo afin de promouvoir son apprentissage en ligne», raconte Robbie.

Avec le soutien technique de Wapikoni mobile, ils ont pu produire l’été dernier les premières capsules vidéo pour débutants en langue quechua «Quechuasimi», disponibles en ligne dès aujourd’hui. Ils souhaitent pouvoir continuer à produire d’autres capsules de quechua intermédiaire et avancé à l’avenir.

Au-delà des frontières

Wara a été invitée à participer à la deuxième édition de l’événement Parlez-vous autochtone ?, organisé par la fondation Fraternité culturelle des Amériques le 25 octobre dernier dans le cadre du Mois de l’héritage latino-américain. Cet évènement vise à promouvoir la conservation des langues autochtones mésoaméricaines. Le zapotèque a été mis en vedette lors de la première édition en 2019 ; cette année ce fut le tour au quechua.

Le fondateur de la Fraternité culturelle des Amériques Gabriel Enriquez, d’origine zapotèque, souhaite bâtir des ponts entre la communauté québécoise et la communauté latino-américaine à travers les diverses activités qu’il organise. Il déplore que les langues autochtones soient souvent reléguées à une deuxième place lorsqu’on promeut le patrimoine culturel de l’Amérique latine.

«On célèbre davantage le folklore, les arts et les traditions culinaires, mais les langues autochtones sont rarement mises en avant. C’est pourquoi j’ai voulu créer un espace pour partager, réfléchir et promouvoir la préservation des langues mères, en dehors des frontières de leur pays d’origine.»

Tomber en amour avec la culture de l’autre

«Imaynalla ! (Bonjour, ça va ?)», lance depuis son salon Moisés Rojas, Bolivien d’origine quechua participant aussi au panel en ligne de la Fraternité culturelle des Amériques. Il poursuit son introduction en quechua d’abord, puis en espagnol.

Moisés Rojas et son fils Ynti (Soleil en quechua). Photo: Valérian Mazataud, Le Devoir.

«Je suis content d’avoir l’occasion de m’exprimer et de rencontrer d’autres personnes qui partagent mes origines et ma langue», souligne le jeune père de 30 ans arrivé au Québec à l’été 2018 avec sa femme Andréann, originaire de Montréal.

«En tant qu’Autochtones immigrants, nous n’avons pas accès à des espaces publics pour promouvoir notre culture et nos traditions», poursuit-il en gesticulant vivement avec ses mains. Son jeune garçon apparaît soudainement devant l’écran, désireux de faire partie du spectacle.

Moisés souhaite que son fils Ynti (Soleil en quechua) apprenne sa langue lui aussi. «En grandissant au Québec, il parlera d’autres langues, alors je lui parle en quechua pour qu’il commence à s’habituer», dit-il en se tortillant pour éviter qu’Ynti ne lui arrache sa tuque de la tête.

Tout comme Wara, Moisés est fier et reconnaissant d’avoir hérité la langue et la culture de ces ancêtres. Son souhait le plus cher est de pouvoir continuer à les transmettre à ses générations futures où est-ce qu’elles décident de s’établir.


Karla Meza es diplômée en administration des affaires (ITESM, Mexique), enquête et renseignement et journalisme (UdeM), Karla Meza débute sa carrière comme journaliste indépendante en 2019 s’intéressant davantage aux enjeux liés à la migration forcée et aux défis des communautés marginalisées au Canada, au Moyen-Orient et en Amérique latine. Passionnée du storytelling audiovisuel, elle a réalisé et produit un documentaire indépendant portant sur la situation des réfugiés syriens au Liban, ainsi que des courts vidéo-reportages dont un portant sur la résilience des femmes autochtones au Sud du Mexique. Journaliste attitrée à l’immigration en région pour le journal «Le Devoir» depuis octobre 2020.