Todo Revuelto de Sonido PESAO, du lourd pour le hip hop en espagnol à Montréal

Lunatico et Chele, MCs de Sonido PESAO lors du lancement de Todo Revuelto © Béatrice Flynn
Avec Todo Revuelto, Sonido PESAO donne mieux que jamais vie à une signature montréalaise qui dépasse les frontières
Par Alexis Lapointe

Au bar Le Ministère, la soirée avait des allures de rendez-vous clandestin. Une trentaine de personnes, principalement des proches du groupe, des artistes et des représentants des médias assistaient mercredi le 19 août au lancement de l’album Todo Revuelto de Sonido PESAO. Rythmes à saveur festive, dansante et propos à teneur engagée y sont combinés avec un savant dosage qui en fait un parfait cocktail d’énergies libératrices. “Escápate!”

Une pièce bien de mise dans les circonstances et chantée avec ferveur par le groupe sur scène, inspirant aux convives un plaisir contagieux d’un titre à l’autre. Invitée à l’occasion de ce lancement, Rachel Therrien accompagnait le groupe à la trompette avec des improvisations qui conféraient un goût d’autant plus enlevant à chaque nouvelle composition de Sonido PESAO.

« Il y a énormément d’expérimentation, de souci du détail pour arriver à la bonne saveur, note le chanteur Marco-Antonio Abal Aguilar, dit Lunatico. Ce travail, nous le devons à la coproduction exceptionnelle de Ian Lettre et de Boogat. »

Créée et chantée avec Boogat, la pièce Dime Que Si mise en ligne dès juin se révélait déjà de bon augure pour l’album. Avec un clip à la fois urbain et lumineux de Carlos Guerra, une vidéographie efficace se juxtapose ici à un son impeccable. On y met également en scène Marie Montsa, Mateo Barrera et Edson Valdez.

Voix du quartier Saint-Michel

« Todo Revuelto, le titre vient des pupusas », lance Lunatico. À savoir ces galettes de maïs extrêmement populaires en Amérique centrale et souvent servies revueltas, c’est-à-dire retournées, le tout habituellement avec un peu de salsa… Que rico!

« Mes parents sont du Guatemala, ceux de Chele du Salvador, mentionne celui qui anime aussi l’émission Rumba Mundial chaque samedi à CIBL. On a tous les deux grandi dans le quartier St-Michel. »

Il y a une vingtaine d’années que Marco-Antonio, c’est-à-dire Lunatico et Ronald Lemus Barrientos, alias Chele se sont connus et c’était justement à l’École secondaire Joseph-François Perreault. Après différentes expériences musicales et une immersion dans le monde des battles de Montréal, ils fondent le groupe Heavy Soundz avec l’artiste et producteur montréalais connu sous le nom d’artiste de Rila Beat. « Il s’agit d’un artiste d’un immense talent qui collabore avec des grands noms de la musique en Amérique latine, note Lunatico. Il est aussi reconnu dans différents domaines, travaillant entre autres en production musicale avec Ubisoft. »

À partir de cette formation, ils créent le groupe Sonido PESAO. Avec à la barre les deux MCs Lunatico et Chele, le groupe propose une signature hip hop montréalaise voire de barrio en revendiquant l’appartenance au quartier St-Michel. « On a fait le choix de nous exprimer sans filtres à propos de réalités de notre quartier, précise-t-il. C’est le cas avec la pièce K-Clase, où on parle des classes sociales à Montréal. »

Les deux formations évoluent ainsi parallèlement. « On a la chance de travailler avec Rila jusqu’à aujourd’hui grâce à ce projet initial [Heavy Soundz], note Lunatico. Souvent, cela nous ouvre à d’autres horizons musicaux. » D’ailleurs, Heavy Soundz divulguait en juin le titre Mala Yerba. Une pièce créée avec le chanteur Mateo. “Hierba mala nunca muere ”, dit-on… Si le rythme est léger, le poids des paroles porte ici en profondeur et d’autant plus efficacement avec la magnifique voix de celui qui a été reconnu comme Révélation 2020–21 en Musiques du monde à Radio-Canada.

Rebeca Lane en spectacle le 5 novembre 2017 au Divan Orange à Montréal ©Ion Etxebarria

Affirmation internationale

Grâce à des influences de cumbia et surtout une magnifique collaboration avec Rebeca Lane, Todo Revuelto transporte un vent d’ouverture internationale. Un mouvement qui rejoint plusieurs initiatives actuelles. Lunatico souligne à ce sujet l’intuition du rappeur montréalais Duendy Tucler, qui convie quotidiennement des pionniers de la scène locale et des artistes du Sud à un live ayant pour nom Ellife sur Instagram. « Cette formule suscite aisément des rencontres artistiques d’un pays à l’autre, note le MC. Duendy met bien de l’avant la scène guatémaltèque et d’autres scènes effervescentes, il fait un travail extraordinaire. »

Sur l’album, Sonido PESAO chante avec l’artiste Rebeca Lane une pièce intitulée No Todo Lo Que Brilla Es Oro. « On y parle de Nations premières, de féminisme et de religion, indique Lunatico. Ce que représente une artiste comme Rebeca Lane au Guatemala, c’est immense. »

Artiste figurant parmi l’avant-garde du mouvement hip hop qui s’affirme en Amérique latine, Rebeca Lane crée une œuvre qui se distingue par son engagement social et féministe. Aujourd’hui plus que jamais, la diffusion de son art musical et poétique gagne en reconnaissance.

Le 5 novembre 2017, elle était en spectacle au Divan Orange à Montréal. « On lui a offert notre album lors du spectacle, puis on est entrés en contact quelques mois plus tard sur Instagram, raconte Lunatico. Il s’agit d’un featuring international et celui-ci possède énormément de valeur pour nous puisqu’il nous ouvre à des réseaux d’une toute autre envergure. »


À titre de journaliste indépendant et de rédacteur professionnel, Alexis Lapointe met en lumière l’innovation artistique à Montréal.