Une nouvelle vague de cumbia pour Montréal

Photo : Alexis Lapointe

Gypsy Kumbia Orchestra réserve un accueil haut en couleurs à des jours meilleurs avec le spectacle de son album VelkomBak

Par Alexis Lapointe

Voici maintenant en ligne sur toutes les plateformes l’album VelkomBak, le deuxième opus d’un collectif loin d’être anodin à Montréal. Si l’œuvre qui voit le jour est une merveille musicale, elle en réserve une toute autre à la scène.

Celle d’un spectacle de cirque que l’ensemble préparait depuis des mois avec Patrick Léonard, des 7 Doigts de la Main et l’artiste Ricard Soler Mallol. Une scénographie ingénieuse et d’une intuition particulièrement sensible, si bien qu’elle prend avec la crise qui secoue la planète un sens inédit. Comme le reste à ce jour cette prestation, que j’ai eu le plaisir de voir en répétition à la fin février dans une ancienne église de Ville-Émard. La prestation allie la profondeur de réflexion à celle de l’émotion, en plus d’impliquer directement le public. Un feu d’artifice exceptionnel et qui retentirait peut-être d’autant mieux pour souligner l’heure où la distanciation cède le pas à la joie d’une libération?

Absolument incontournables dans l’agenda culturel montréalais, les soirées mensuelles de Gypsy Kumbia Orchestra font immanquablement salle comble à la Sala Rossa. L’ensemble représente beaucoup et pour plusieurs, au cœur de la faune artistique montréalaise. J’ai moi-même connu Carmen Ruiz, chorégraphe et directrice artistique lors d’un atelier conjuguant l’écriture à la danse dans une perspective de création.

Ce qui me conduit en cette journée glacée à me glisser parmi les témoins privilégiés de cette résidence d’artistes dans ce lieu de culte maintenant devenu le Théâtre Paradoxe, avec à l’esprit les projets de journalisme et d’écriture que m’inspire cette scène. À la suite de leurs prestations, je parle un peu avec les artistes et en particulier avec le chanteur Sebastian Mejia. J’ose donner forme aux enregistrements recueillis à cette occasion, pour saluer le nouvel album.

Sirènes réelles

La scène du spectacle est celle d’un navire en mer, où s’élève une voix dissidente, celle du « fou » qui annonce l’arrivée d’une tempête et que l’équipage refuse d’entendre. Cette voix qui dérange, s’exposant à l’exclusion.

« On était au Nouveau Brunswick et on entendait la sirène des paquebots, au moment où on répétait, me raconte Sebastian. Aurélien [Aurélien Tomasi, directeur musical] a dit « Oye, on pourrait en faire quelque chose, avec le son des fanfares » et l’idée est restée, pour devenir un “temazo”, un grand thème pour ce projet. »

Ce qui se prête bien à un dialogue avec l’héritage afro-colombien, auquel rend régulièrement hommage le travail artistique de GKO. Avec des figures comme celle du pêcheur, ce dialogue permet aussi de faire place à d’autres traditions.

D’ailleurs, le spectacle explore brillamment le filon de la musique traditionnelle québécoise. Un travail qui se reflète bien dans l’album. Chants en espagnol et en français, musique orchestrale aux percussions énergiques, mouvements de fanfare qui s’estompent en envolées de flûte, de violon ou reprennent en moments de freejazz. Avec un va-et-vient entraînant et subtil, on passe d’airs balkaniques à des cumbias évoquant des processions andines comme celles de grandes fêtes ancestrales au Pérou.

Investis par des artistes du cirque comme par l’orchestre et les danseurs, les cordages, les échafaudages complexes et le mât sont déployés dans un constant mouvement, d’autant plus dynamique avec la chorégraphie de Carmen Ruiz et Sonia Bustos.

« On avait à l’esprit les changements climatiques dans la composition, soulève Sebastian. Alors que toute la communauté scientifique met en lumière l’arrivée d’une crise, on l’ignore en lui disant « Hey, voyons… » Un récit à l’allure prémonitoire, alors que deux mois plus tard la pandémie invite à des prises de conscience et de profonds changements de cap ici comme ailleurs.

« Le public est pour nous au cœur de la scénographie, note le chanteur. On veut reconstruire le bateau avec tout le monde, comme dans un acte de psychomagie. »

Inspiration sociale

D’ailleurs, Gypsy Kumbia Orchestra vient d’un mouvement collectif de création en danse et en musique.

« Il y a à l’intérieur du groupe une métaphore de Montréal, affirme Sebastian, qui se trouve à l’origine du groupe avec sa compagne Carmen. Avec les influences de chaque artiste et les interactions qu’on développe, on devient un microcosme de société. »

Au fil des années, l’orchestre performe dans différentes villes du monde et remporte plusieurs prix. Comme quoi le succès peut aller de pair avec une approche égalitaire qui tend la main à l’autre. « Le spectacle est symbolique et ce que l’on faisait comme spectacle est maintenant ce que l’on vit, dit Carmen. Nous devons reconstruire et nous avons confiance que de cette grande incertitude, il y de beaux changements qui peuvent venir. »


 À titre de journaliste indépendant et de rédacteur professionnel, Alexis Lapointe donne voix par son écriture à l’innovation dans les arts à Montréal.