Grâce à des cours d’espagnol principalement destinés aux enfants issus de familles latino-québécoises, l’Institut Legados ouvre des horizons aux cultures hispaniques à Montréal
Par Alexis Lapointe
«Comme mère, je voulais que mes enfants aient accès à un lieu à l’extérieur de la maison pour pratiquer l’espagnol et s’approprier les traditions latino-américaines, dit Mariana Marin, fondatrice et directrice de l’Institut Legados. J’ai fait une étude de terrain et j’ai vu que ce besoin rejoignait celui de nombreuses familles. »
À la suite d’une formation en anthropologie en Argentine, Mariana Marin se spécialise dans l’étude des phénomènes culturels reliés aux processus migratoires. Animée par le désir de vitaliser l’héritage linguistique des communautés hispanophones du Québec, elle mène à l’aide de la spécialiste Ève Moreau une étude approfondie à propos de la langue espagnole à Montréal. Résultat de deux ans de travail avec une équipe de recherche, l’Institut Legados ouvre ses portes le 22 janvier 2018 sur la rue Cartier, dans l’est du Plateau Mont-Royal.
Aux yeux de celle qui est aussi la mère de trois enfants, la langue constitue à la fois un lieu de rencontre intime et collective. « Ce sont des liens familiaux, intergénérationnels et symboliques que nous voulons favoriser par la transmission de la langue, note-t-elle. On souhaite permettre le développement de cette richesse qu’on porte en soi. »
Mariana raconte qu’une telle introduction se révèle parfois particulièrement précieuse pour les enfants. « Les cours et les camps d’été les éveillent à la beauté de la langue, confie-t-elle. Il y a une connexion qui se crée et qui peut prendre autant de formes qu’il y a d’enfants. »
L’enfance de l’art
En espagnol, on désigne une certaine place qu’occupe la langue familiale pour un enfant par l’expression lengua de herencia. Un concept linguistique qui se traduirait au sens littéral par « langue d’héritage » et qui se distingue à la fois de celui de langue maternelle et de celui de langue étrangère. En français, on traduit habituellement par « langue d’origine » cette expression. Dans un contexte multilingue et impliquant souvent un parcours familial transnational, il s’agit dans la plupart des cas d’une langue différente de celle qui est privilégiée à la maison. Comme l’indique Mariana Marin, il existe maintenant un travail de recherche qui se fait à ce sujet dans de nombreuses universités du monde. « Il s’agit d’un champ encore exploratoire au plan académique, dit-elle. Avec l’Institut Legados, nous espérons contribuer à son développement. »
L’anthropologue a fait appel à une équipe de spécialistes argentins attachés à un organisme de coopération interuniversitaire reconnu par l’UNESCO, la FLACSO Argentina (Faculté latino-américaine de sciences sociales) pour l’élaboration du programme éducatif de l’Institut Legados. « L’approche utilisée favorise davantage la culture, note-t-elle. D’une part, on découvre des coutumes et d’autre part on les contextualise avec la vie à Montréal. »
Ce qui explique aussi le rôle central de l’art dans le programme de l’Institut Legados. Dès l’âge préscolaire, les enfants font connaissance avec la tradition de manière inventive et ludique. Le dessin, la musique, la danse ou encore le théâtre se trouvent au cœur de leur apprentissage, de même que la littérature pour les enfants de l’école primaire. Enfin, le lien social se révèle essentiel à cette approche de la transmission culturelle. Grâce à des initiatives comme une bibliothèque communautaire ou encore la tenue de spectacles, la formule pédagogique de l’organisme invite à l’implication des parents de même qu’à la création de réseaux.
Rencontrée aux locaux de l’organisme, Véronica Soliz est la mère d’un garçon de cinq ans qu’elle a inscrit à l’Institut Legados. « Je tenais à l’éduquer en français, raconte-t-elle. Les cours font une différence et je constate qu’avec la famille, cela crée des ponts. »
Par ailleurs, un programme d’espagnol comme langue étrangère se trouve maintenant accessible à toutes les familles montréalaises. « Lorsque l’on étudie la linguistique, on comprend que la connaissance de plusieurs langues est une richesse et qu’elle aide même au développement de la langue première, dit Mariana. On veut valoriser l’espagnol et surtout l’échange. »
Vocation culturelle
Aujourd’hui, l’Institut Legados fait progressivement place aux artistes pour la tenue d’ateliers de création ou encore d’activités ouvertes au public. Complémentaire à la mission initiale de l’organisme, cette vocation donne une dimension artistique à son travail de transmission culturelle.
Au moment du passage de la Revue Hispanophone, Mariana travaillait à préparer une foire d’artisanat qui a eu lieu le 15 décembre dans les locaux de l’institut. Un événement mettant à l’honneur l’inspiration hispanique et que la directrice prévoit renouveler aussitôt que possible. « Nous contribuons à véhiculer certaines traditions et cela correspond à l’esprit de l’Institut Legados, explique Josiane Bédard, propriétaire de la boutique en ligne Apapacho. Comme je représente des artisans et des artisanes du Mexique, j’ai saisi l’occasion. »
Ici le reportage d’Hispanophone sur le marché d’artisanat qui a eu lieu le 15 décembre à l’Institut Legados :
Époux de Josiane, le musicien et chanteur Daniel Russo Garrido – bien connu sous le nom d’artiste Boogat – anime ponctuellement des soirées de discussion autour de l’histoire musicale à Legados. D’ailleurs, Boogat s’est en tout premier lieu fait connaître au début des années 2000 comme un des pionniers du hip hop à Québec. Depuis plusieurs années, il intègre des traditions musicales latino-américaines à ses pièces et chante en espagnol.
Chaque semaine, quelques personnes assistent à un atelier d’écriture créative avec l’essayiste et romancier Francisco García González. Auteur de plusieurs livres et d’articles publiés à Cuba de même qu’en Europe, l’écrivain est aussi critique de cinéma.
Chorégraphe du groupe Gypsy Kumbia Orchestra, Carmen Ruiz tient à l’Institut Legados des rencontres d’exploration en danse contemporaine à partir de la poésie. « On sent qu’elle met en place quelque chose », révèle Cristina Pretell Diaz, qui participe à ces ateliers et qui prend part de différentes manières à la scène de la danse contemporaine à Montréal. Établie au Québec depuis une dizaine d’années avec sa famille, Cristina est étudiante au Certificat en coopération internationale à l’Université de Montréal. L’artiste et coopérante voit à la fois dans les ateliers un lieu d’apprentissage et une occasion de renouer avec des traditions latino-américaines. « L’approche est inclusive, note celle qui est née à Trujillo, au Pérou. Je trouve que c’est une chance d’avoir accès à une artiste de cette trempe dans un contexte aussi confidentiel. »
Institut Legados
https://legados.ca/
info@legados.ca
(514) 867 – 9363
Alexis Lapointe est étudiant au Certificat en journalisme à l’Université de Montréal. Journaliste pigiste, il donne voix par ses articles à sa passion pour la langue et les cultures hispaniques. Il fait de la traduction de l’espagnol au français pour Hispanophone. Lire plus d’articles de l’auteur.