De la nécessité des échanges étudiants en études hispaniques

Étudiants internationaux en visite à un parc national du Chili (Photo : Thomas Gauvin).

Par Thomas Gauvin

Il est aisé pour toutes et tous de reconnaître d’emblée la pertinence d’un échange à l’étranger, pour l’enrichissement culturel qu’il signifie et, en particulier pour les étudiantes et étudiants des programmes de langues et littératures modernes, l’immersion linguistique qu’il permet. Or, par ce texte, je tenais à m’adresser à mes camarades en études hispaniques qui hésitent toujours à s’engager dans cette expérience et qui en sont à leur première ou deuxième année dans leur cheminement, surtout les francophones pour lesquels l’espagnol n’est pas la langue maternelle ou ceux et celles qui le connaissent comme langue patrimoniale. Je voulais tenter de le faire en évitant les idées reçues que vous connaissez ou devinez sans doute déjà, sur l’ouverture sur le monde ou l’idéal abstrait du voyage, et élaborer un certain hommage à ce genre de séjour, dans l’objectif de stimuler, humblement, la réflexion de mes dits camarades.

L’échange n’est évidemment pas obligatoire. L’exercice devrait être considéré d’abord et avant tout comme une exigence académique que l’on s’impose à soi-même. Il faut prendre conscience de l’avantage souvent peu considéré (au premier cycle, en tout cas) d’entrer en contact avec une expertise nouvelle que représentent les corps professoraux des facultés et départements de lettres ou linguistique des universités où enseignent des sommités dans leur domaine, des universités, où, dans bien des cas, ont été formés les auteures et auteurs canoniques, jusqu’aux prix Nobel, que nous étudions. Notre département compte des personnes professeures titulaires qui brillent par leur excellence, et partir à la découverte de ces autres expertises n’empêchent en rien de profiter de cette excellence, notre cheminement étant d’habitude d’au moins trois ans (davantage, si on opte pour la maîtrise par la suite). N’étant d’ailleurs, la plupart du temps, pas tenu de respecter les parcours prédéterminés et de suivre les prérequis normaux des programmes construits dans leur université d’arrivée, l’étudiante ou l’étudiant en échange a l’avantage de choisir des cours qui souvent l’intéresse particulièrement, voire des séminaires quasi-monographiques examinant une aire spécifique, un corpus, un thème, un auteur ou une auteure ; un attrait certain pour les passionnés par leur discipline. La flexibilité, en ce sens, de la direction de notre programme de premier cycle, quant à l’équivalence des cours, est précieuse et devrait être rassurante pour ceux et celles que cela inquiète. Étudier, qui plus est, dans un environnement hautement spécialisé (car il s’agit toujours là des langue et culture nationales, et non étrangères), est un atout reconnu partout dans le monde des études supérieures, ou même auprès d’éventuels employeurs, si c’est ce qui vous préoccupe. Apprendre, par exemple, l’histoire de l’espagnol d’Amérique par la bouche d’un de ses plus éminents théoriciens, est une expérience non négligeable (c’est la mienne à l’Université du Chili), tout comme l’est, comme l’a vécu mon ami, apprendre la poésie moderne espagnole à Grenade de la bouche d’un de ses acteurs contemporains qui parle avec la passion de celui qui est engagé pleinement dans le monde qu’il raconte. Un échange permet cela.

Ensuite, j’insisterais sur l’humilité que nous nous devons d’avoir devant les cultures que nous étudions. Comment prétendre parler d’une certaine manière en leur nom, en tant qu’hispaniste en devenir, sans y avoir baigné un tant soit peu durablement? Comment appréhender dans la totalité de ses subtilités un contexte culturel sans en avoir fait l’expérience soi-même? C’est impossible, avancerais-je. Il faut se laisser séduire essentiellement par la possibilité d’émerveillement que représente l’occasion de toucher, d’écouter, de lire, de goûter à ces moments, lieux, dont on parle de loin, depuis nos hivers québécois. Dans ces pays où la musique s’invite dans les autobus, on respire partout ce grand quelque chose qui manquait à notre chemin universitaire, et le plongeon est une leçon d’humilité de laquelle aucun confortable ne devrait se défiler. Comment, dans notre condition, refuser l’occasion d’attraper une infime partie de ce qu’on convoite et revendique parfois vertement et fièrement devant les nôtres? L’occasion aussi de changer et d’évoluer, soi-même, inévitablement. L’occasion de s’obséder, dans les eaux qui ont noyé Storni, des poèmes qu’elle s’en fut quérir, d’entendre au milieu du stade de la mémoire les échos manifestes de Jara, de deviner au creux d’un village d’oubli le regard lunaire de Pedro Páramo murmurant le nom de Susana San Juan, d’être brutalement assourdi par la guerre, debout à quelques mètres de Guernica, dans un musée à Madrid, de découvrir aussi un peu les innombrables noms qui ne figurent pas dans les canons établis qu’on n’aura jamais assez étudiés. L’occasion de parler avec de nouveaux camarades et de partager pleinement, l’instant d’une session ou deux, leurs luttes, apprentissages, espoirs, existence.

Enfin, à celles et ceux que la crainte ou l’appréhension retient : les pires de celles-ci se réaliseront peut-être, la naïveté ne vous servira pas. La distance, l’exile, la solitude, l’absence, la perte de repères, sont des souffrances, mais également, pour faire appel à un cliché, des apprentissages : puissent-elles vous éclairer sur la condition de bien des immigrants et immigrantes qui survivent dans notre pays, parfois dans un état semblable perpétuel, dans leur cas souvent forcé, et plusieurs textes dans cette revue nous renseigne sur le sujet. Or, ce n’est pas que cela, c’est tout ce que j’ai dit avant aussi. Le privilège supplante les désagréments. Les expériences seront différentes pour chacune et chacun, mais sont, au bout du compte, nécessaires pour la plupart, et pas que symboliquement ou de manière superficielle, n’étant pas accessoire dans notre cas, celui des étudiantes et étudiants du monde hispaniques, de vivre un peu au cœur de celui-ci.


Thomas Gauvin est étudiant au baccalauréat en études hispaniques à l’Université de Montréal, actuellement en échange à l’Université du Chili. Il a été coordonnateur aux affaires académiques de premier cycle et coordonnateur aux affaires internes de l’Association étudiante de littératures et langues modernes de l’Université de Montréal.