Femmes qui nous inspirent. Entretien avec Claudia Ávila, directrice générale de la Asociación Mexicana de Parques Industriales (AMPIP), une organisation qui regroupe 250 parcs industriels dans l’ensemble du territoire mexicain. Avant d’entreprendre sa carrière au Mexique, elle a vécu durant sept ans au Canada. Elle y a fait la promotion des relations commerciales pour le gouvernement mexicain, en plus d’obtenir grâce à une bourse canadienne un MBA à l’Université de Toronto. « Les femmes mexicaines n’ont pas peur du plafond de verre et elles amènent beaucoup au Canada », affirme l’experte en relations internationales. Retour sur une expérience déterminante, de sa découverte d’une nouvelle culture aux défis qu’elle a dû relever en tant que femme pour atteindre ces sommets professionnels.
Version en espagnol
Par Laura Ochoa et Carlos Bracamonte
Traduction Alexis Lapointe
À peine arrivée au Canada, Claudia Ávila monte dans l’ascenseur pour se rendre au 27e étage de l’édifice où se trouve son bureau. Spontanément, la jeune femme salue tout le monde. Regard surpris et silence désapprobateur des gens. Que se passe-t-il?
« Au Mexique, la courtoisie implique de saluer les personnes présentes lorsqu’on monte dans un ascenseur. On fait signe également aux autres à la sortie: “Con permiso”. Garder le silence apparaîtrait bien impoli. Au Canada, la coutume s’oppose à ces règles, relève Claudia Ávila, qui répond à nos questions par téléphone à partir de son bureau de México. Comme un ami me l’a fait comprendre, les Canadiennes et les Canadiens deviennent rapidement inconfortables avec les salutations dans les lieux publics… et surtout le matin, c’est un peu comme si on dérangeait leur confort. »
Une leçon tôt apprise. Pour Claudia Ávila, l’anecdote évoque bien sa rencontre avec le pays où elle s’établit et où elle peaufine son analyse des relations économiques entre le Canada et le Mexique dans le cadre d’un MBA. Un parcours qui lui permet aussi d’étudier en profondeur l’économie canadienne. On se trouve alors dans les années 1990, au moment où se prépare l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Une vague de frénésie incroyable et que saisit sans hésiter la brillante étudiante, qui passe de la théorie à la pratique en prenant part aux négociations commerciales qui conduiront à la signature de l’ALENA. « J’ai mis une attention particulièrement soutenue à la compréhension de la psychologie, de la dynamique humaine propre aux milieux économiques canadiens. Au Mexique, la négociation exige temps et patience. Au Canada, le commerce se fait plus directement. Un oui, c’est un oui », assure celle qui poursuit aujourd’hui son travail en négociation internationale au Mexique. Claudia Ávila se trouve en outre à l’origine de la Corporación Internacional Hidalgo, qui se dédie à la promotion de l’exportation et des investissements étrangers dans l’État d’Hidalgo. En 2002, elle a également été nommée Secrétaire du développement économique de ce même État du Mexique.
– Au Mexique, comment évoluent aujourd’hui le rôle et le statut de la femme ?
– Je constate que le nombre de femmes accédant à des postes de haute direction se trouve en pleine croissance. Bien sûr, la conciliation entre la carrière et le rôle de mère constitue un enjeu majeur dans l’affirmation et l’épanouissement des femmes. Aujourd’hui encore, on leur confie encore souvent davantage la gestion du foyer. C’est-à-dire qu’elles doivent composer avec de plus grandes exigences. Au Canada, il existe un cadre légal et une culture entrepreneuriale qui offrent un certain rempart aux femmes en ce sens. L’accès aux garderies et les congés de maternité font pleinement partie du droit du travail. Au Mexique, on trouve encore beaucoup de lacunes au plan juridique et dans la pratique. En revanche, le soutien, l’entraide à l’intérieur des familles elles-mêmes jouent un rôle important. Les postes de direction générale, de PDG sont maintenant accessibles aux femmes; je crois toutefois que beaucoup de travail reste à faire – et plus généralement pour l’accès à différents postes d’importance – pour bien permettre aux femmes de gravir les échelons.
– Il existe désormais au Mexique une politique de parité hommes-femmes pour les emplois publics, approuvée par le Sénat. Croyez-vous que cette parité devrait être étendue aux directions d’entreprises ?
– Je préfère le concept d’égalité à celui de parité. En effet, l’idée de quotas de genre m’inspire un certain scepticisme. Il s’agit d’une question qui va bien plus loin que les chiffres. À mon avis, il se révèle en premier lieu essentiel de travailler à l’égalité des conditions, qui précède – et permet – l’égalité des chances. Si l’industrie dans laquelle je travaille reste dominée par les hommes, les causes en sont profondes et ce n’est pas une question d’intentions. Historiquement, l’immobilier industriel vient d’une culture d’hommes, organisée autour de la figure patriarcale, celle du dirigeant et du père. Cela commence à changer et on reconnaît enfin aujourd’hui la figure de la femme, de la mère. On doit redéfinir certains rôles, pour que le père et la mère aient un statut égal. Ceci dans la famille comme au travail et il s’agit d’un progrès pour chacun des genres. Non d’un affaiblissement pour l’homme, comme le véhicule le machisme. La femme doit être tout aussi bien en mesure que l’homme de prendre des décisions.
– Quelles conditions vous apparaissent comme les plus essentielles à l’atteinte de ses objectifs en tant que femme qui travaille en commerce international ?
– Je crois que le travail au plan de la confiance en ses capacités, en son talent joue un rôle central pour l’atteinte de ses objectifs. La confiance en soi et je le dis au plein sens du terme dépasse le genre, le statut de femme. On réduit encore trop souvent la femme à son charme et on véhicule à ce jour l’idée que l’attrait féminin mène au succès. Les femmes doivent composer avec beaucoup de pression sociale en matière d’habillement, comme si le succès imposait un habillement plus suggestif ou encore de porter un décolleté. Si en tant que femme on peut effectivement valoriser la féminité, le cheminement professionnel doit reposer sur des valeurs universelles à tous les genres. À savoir l’engagement, la responsabilité ou encore l’excellence. Voici des valeurs fondamentales au succès et au milieu professionnel, des valeurs qui permettent aussi de se défendre en cas de harcèlement et d’éviter les contextes d’insécurité, les blessures que ceux-ci génèrent. On impose un certain respect mutuel en prenant confiance et cela peut aussi aider à séparer le travail de la vie personnelle. Je vois de plus en plus de femmes qui s’affirment et en particulier dans le milieu de l’innovation technologique. Un sens du détail, de la précision distingue souvent celles auxquelles je pense en ce moment. Une soif de connaissance, une aptitude à renouveler ses apprentissages et ses manières de faire aussi et j’évoque ici des qualités essentielles. Être à l’affût du progrès, au plan scientifique ainsi qu’au plan politique, social ou encore en matière de relations interpersonnelles constitue un impératif et cela implique une certaine attention. Si l’affirmation des femmes fait partie du progrès, nous y contribuons concrètement dans le monde comme dans l’entreprise.
– Quelles femmes vous inspirent particulièrement dans les milieux économiques ?
– Il y a de nombreuses femmes qui m’inspirent, notamment certaines dirigeantes que je rencontre dans les forums internationaux. Une femme à laquelle je porte une profonde admiration demeure Marinela Servitje. Si elle a poursuivi la mission de son père, fondateur d’une entreprise familiale – le modèle patriarcal typique, elle en a fait autre chose. Elle s’est distinguée à tous points de vue et il serait bien injuste, voire maintenant impossible de réduire son parcours à celui d’une fille à papa… À l’origine du Museo del Papelote [NDLR : un musée consacré à l’apprentissage des enfants avec des expositions interactives portant sur la science, la technologie et l’art], elle est parvenue à faire place puis à mettre au premier plan le progrès social. Grâce à une force, une énergie qui viennent d’une confiance profonde et non d’un nom, ou d’un héritage, elle se trouve à l’origine de réalisations qui honorent le Mexique. Ou plus encore compte tenu de la dimension transnationale de son travail. Dans le monde entier, le Museo del Papelote constitue une référence à plusieurs égards.
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Dès l’enfance, Claudia Ávila s’intéresse à l’histoire du monde et aux cultures de différents pays. Elle provient d’une famille mexicaine qui compte des ancêtres d’Irlande et aussi de Suède. Ce qui la prédispose à cette ouverture. Passionnée par les langues et les cultures du monde, elle s’oriente en commerce international. Elle se consacre depuis au développement des compétences entrepreneuriales, dans une perspective d’excellence à l’échelle de la planète.
À la suite des sept années où elle a vécu au Canada – et où elle a obtenu un MBA à la Rotman School of Business de l’Université de Toronto, Claudia Ávila devient représentante économique du Mexique à Stockholm. Au Canada, elle a dû tirer son épingle du jeu dans un contexte où elle faisait face à une certaine discrimination. À son arrivée, ses collègues ne la prenaient pas au sérieux. Grâce à sa détermination, elle s’est affirmée avec succès. D’ailleurs, elle a obtenu de la part du gouvernement canadien une bourse d’études internationales récompensant son parcours académique exceptionnel.
« Le genre ne doit pas être un obstacle à ses objectifs », constitue le credo de Claudia Ávila. « On peut faire volteface et continuer, si on prend les moyens adéquats à la réalisation de ses projets et qu’on sait aller chercher l’aide nécessaire, dit-elle. Le monde est en pleine évolution, les manières de faire et le savoir également. Nous avons le devoir de nous actualiser et de travailler en équipe, de mettre à profit ses forces et de transmettre le sens de la réussite, la passion de l’excellence. »
La série Femmes qui nous inspirent aborde le travail d’un certain nombre de femmes éminentes au Québec et au Canada qui contribuent par leur travail et leur professionnalisme à l’édification d’une société plus égalitaire. La série est une initiative de l’organisation Affaires Internationales au Féminin et de la revue Hispanophone.
Laura Ochoa est présidente et fondatrice d’Affaires Internationales au Féminin, une organisation sans but lucratif qui vise à promouvoir, à travers les femmes, les relations d’affaires avec des pays ayant des accords avec le Canada, ainsi qu’à motiver et reconnaître les femmes pour leur participation et sa contribution à des projets dans le domaine international.
Carlos Bracamonte est rédacteur en chef du magazine Hispanophone du Canada. Spécialiste de l’immigration, de la diversité culturelle, de la gestion de projets et de la responsabilité sociale des entreprises. En savoir plus sur l’auteur.
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