Entretien avec l’artiste Luis Rodriguez (LRO), qui lance l’album A mi manera le 20 avril à La Marche à côté.
Par Alexis Lapointe
“El hip hop no está muerto, está aprendiendo el español”
Luis Rodriguez, alias LRO, développe avec l’album A mi manera une signature toute nouvelle sur la scène musicale. À la veille du lancement, j’étais enthousiaste de rencontrer ce MC qui donne vie à un hip-hop en espagnol unique à Montréal. Portrait d’un artiste qui dépasse les frontières grâce à un verbe aux accents à la fois poétiques et engagés, du Nord au Sud.
«Ya no hay marcha atrás, yo sigo viviendo a mi manera», chante Luis Rodriguez sur la pièce éponyme de son album A mi manera. This is LRO, Montréal-Bogotá.”
Au moment où s’entame l’entrevue, l’artiste me parle de cette évolution d’un pays à l’autre. « J’ai voulu dire aux gens que j’étais de retour au hip-hop, dit Luis. Je reste le même et je prends ma place à Montréal. »
Une dizaine de minutes plus tôt, j’allais à sa rencontre devant la station métro Mont-Royal. Il me serre la main d’un air affable et me propose de faire l’entrevue au café Vasconia, sur la rue Saint-Denis. « Il y a parfois des préjugés qui réduisent le rap à des clichés matérialistes, machistes ou à l’éloge du crime, me lance-t-il au moment où je prononce le mot hip-hop. Je tiens à te rassurer, c’est plutôt ce que je dénonce dans mes chansons. »
LRO figure parmi les artistes qui ont pris part à l’essor de la scène hip-hop à Bogotá. « Ma dernière pièce enregistrée en Colombie, je l’ai faite avec Afaz Natural, me dit-il. C’était en 2013. »
Originaire de Medellín, Afaz Natural figure parmi les artistes les plus reconnus du hip-hop de Colombie et ses clips comptent des millions de visionnements sur YouTube.
Mouvement vital
Samedi le 20 avril, le lancement du premier album solo de LRO a cette fois lieu avec le soutien de la scène inspirée par le hip-hop en espagnol au Québec. Les pionniers d’Alquimia Verbal seront présents avec ImpulZion, Rila Beats et le DJ Lejo Daza, complice dans la production de l’album A mi manera. Combinaison qui promet le meilleur high pour ce spectacle qui survient le jour du 4/20, grâce à une ambiance et un groove qui libèrent une voix toute particulière à Montréal.
Luis indique qu’une rencontre particulièrement déterminante pour ce renouveau musical fut celle de l’artiste et producteur montréalais Daniel Rodriguez, alias DJ Guasá. « Daniel a tout de suite reconnu mon travail, explique le chanteur. Il m’a mis en relation avec les gens de Sueños y Raices, le collectif qui organise l’événement MTL Pachangón. »
Le 6 juillet 2018, le public montréalais découvre LRO au Groove Nation lors de l’édition de MTL Pachangón pour le Festival international de Jazz. Une présence généreuse et sensible, un beat qui laisse place à un scratch entraînant et un flow poétique efficace. Résultat accrocheur et la classe au rendez-vous, on le rencontre ensuite à plusieurs reprises en spectacle. Il se produit entre autres lors de l’événement Bajo presión, qui met en lumière le rap en espagnol au festival Under Pressure et le 16 novembre, lors de la venue du légendaire artiste chilien Bubaseta.
« J’ai compris qu’il était possible de chanter en espagnol à Montréal, révèle le MC. Le public cherche l’ouverture et il y a déjà un rap en créole haïtien, je me rends compte que l’existence d’espaces d’expression sans barrières linguistiques joue un rôle vital pour la musique. »
Dans ses pièces, il aborde des enjeux personnels et sociaux évoquant aussi bien le Québec que la Colombie. « Je veux qu’il soit possible pour les gens en Amérique latine d’aimer la musique qu’on fait à Montréal, dit-il. Ensuite, on participe à la scène locale et on présente notre musique au mont Royal, ou encore au parc Jean-Drapeau. »
Une trajectoire qui rejoint un mouvement aux horizons multiples. « Adolescent, j’avais déjà mon propre groupe, raconte Luis, qui évoque cette époque dans la chanson Buay de barrio. Je passais des journées entières à improviser en freestyle avec des amis avant d’en faire une carrière. »
D’ailleurs, l’artiste soulève qu’un lieu de rendez-vous parmi les plus importants pour le hip-hop en espagnol se tient annuellement à Bogotá, le festival Hip Hop al Parque. L’événement réunit régulièrement d’aussi grands noms que ceux d’Ana Tijoux ou encore de Gabylonia. « Il y a un fort mouvement hip-hop en ce moment en Amérique latine, révèle Luis. À la suite du lancement, c’est sûr que j’espère aller faire découvrir ma musique au Sud. »
Comme quoi cette musique se prête bien au voyage. Un spectacle serait-il en vue pour LRO au festival Hip Hop al Parque ?
Sens critique
« L’essence même du rap, c’est de dire ce qui se passe et qu’on n’entend pas au bulletin de nouvelles, soulève le MC. Il s’agit souvent de dénoncer l’injustice, de parler de la corruption, ou encore des gens innocents qui se font assassiner par les policiers. »
À ses yeux, le hip-hop constitue tout d’abord une forme d’art social. « La culture hip-hop vient de ce besoin d’expression urbaine, qui passe autant par la chanson, c’est-à-dire le rap que par les graffitis ou encore le breakdance, rappelle-t-il en évoquant la genèse du genre à la fin des années 1970 dans le Bronx de New York. Je crois qu’on gagne à revenir au sens original pour mieux aller de l’avant. »
Un sens qui passe souvent par les paroles et qui échappe à la récupération commerciale. « Je vis avec mes textes à l’esprit, dit-il. Sur papier chez moi ou sur mon cellulaire dans le métro, j’écris chaque jour et je suis constamment à la recherche du mot juste, de l’expression qui sort de l’ordinaire et qui pourra peut-être compléter une chanson. »
Il mentionne qu’il puise beaucoup d’inspiration critique dans le quotidien. « Quand j’entre dans un wagon le matin à la station Côte-Vertu, je me surprends toujours de voir comment les gens peuvent se précipiter pour prendre le siège le plus distant des autres, dit-il. Cela m’a conduit à écrire sur les habitudes et l’individualisme. »
Assurément, l’album invite à choisir un autre sens. ‟You must believe there’s another way to live, chante-t-il sur la pièce Another way. Hay otra manera de vivir.”
Alexis Lapointe est étudiant au Certificat en journalisme à l’Université de Montréal. Journaliste pigiste, il donne voix par ses articles à sa passion pour la langue et les cultures hispaniques. Il fait de la traduction de l’espagnol au français pour Hispanophone. Lire plus d’articles de l’auteur.