Le talentueux chef cuisiner péruvien Marcel Larrea comble des appétits et des gouts cosmopolites dans son restaurant Tiradito, qui vient de remporter le prix «Restaurant de l’année à Montréal».
Par César Salvatierra et Carlos Bracamonte / Traduction par Emmanuelle Richard
Version en espagnol
I
Un jour avant le premier anniversaire du restaurant Tiradito, son copropriétaire, le chef péruvien Marcel Larrea, est vivement excité. Son établissement est en nomination parmi les meilleurs nouveaux restos canadiens de 2017. Mais ce soir, son agitation n’a rien à voir avec cette réussite, sinon avec un sujet intime et plus significatif : c’est l’anniversaire de sa femme.
– Je dois lui faire la surprise aujourd’hui!, lance le chef en riant.
C’est un vendredi d’automne sans lumière qui tire à sa fin. Le vent répand les premières feuilles mortes. Une quiétude ocre somnole sur les rues passantes du Downtown, le quartier central où opère le Tiradito Resto Bar depuis un an.
« Mon rêve a toujours été d’avoir un local dans le Downtown pour situer le Pérou au centre », nous explique Larrea. Le Downtown est le cœur des affaires de la métropole; il abrite les grandes entreprises dans les petits gratte-ciels gris de Montréal. Gris comme le ciel de la ville dans laquelle Larrea a grandi : Lima, grande ville péruvienne au bord de la mer.
Dans le restaurant, Julie Casals, la manager, finalise les détails de chaque plat avant qu’ils se dirigent vers leur destinée. Des convives avides patientent dans la grande salle à manger aux murs de briques apparentes. Tout se déroule à merveille, sur un rythme plaisant d’un jazz latino et d’une cumbia-pop. Jusqu’à la tombée de la nuit, Tiradito est un restaurant de cuisine péruvienne avec des touches d’influences japonaises. À partir de dix-neuf heures, son menu imposant est remplacé par de succulents petits plats, et il se transforme également en bar avec des cocktails spiritueux, des bières locales et des vins bien conservés dans l’obscurité. Le chef Marcel Larrea regarde sa montre : la soirée va commencer.
II
Depuis ses premières années, la vie de Larrea a tourné autour de la cuisine péruvienne et internationale. Alimenté par les assaisonnements et les secrets culinaires de sa mère, il a éduqué son palais. Un jour, voilà de cela treize ans, ses parents lui ont dit, un peu en blaguant, mais aussi avec un peu de sérieux, qu’il avait la citoyenneté canadienne. En fait, Larrea est né au Pérou, mais ses parents ont vécu plusieurs années au Canada et ont obtenu la citoyenneté; son frère ainé est né ici. Plus tard, lorsqu’il est arrivé à Montréal, le jeune chef a loué un petit appartement entre l’avenue Parc et la rue Beaubien. Le faible cout du loyer et une vie sans excès lui ont permis d’économiser l’argent nécessaire pour réaliser son rêve : avoir sa propre entreprise.
Au début, lors de ses premières années au Canada, Larrea a passé par les cuisines de restaurants reconnus : Méliès, Thai Grill, Cartel. Il avait étudié à l’école d’arts culinaires Le Cordon Bleu Perú, et son talent et quelques lettres de présentation sous le bras lui ont ouvert les portes. Un jour, après avoir gagné de l’expérience dans plusieurs restaurants, le chef péruvien de renommée mondiale Gastón Acurio l’a invité à travailler pendant douze mois à son restaurant Astrid & Gastón. C’est ainsi qu’il a connu les avatars et les cadences de la restauration. En 2012, il a réalisé son premier rêve gastronomique avec cinq associés. Il s’appelle Mezcla (Mélange) et c’est un établissement recommandé par les gourmets dans lequel la cuisine péruvienne se jumelle à la québécoise :
« Le Québec a une grande variété de produits, affirme Larrea. Par exemple, la Gaspésie a un certain type de fruits de mer qui se marient bien avec une recette péruvienne. On y retrouve aussi l’épinard de mer (oui, de mer!), avec laquelle on peut faire une émulsion de pieuvre à l’olive ».
Larrea a concrétisé son deuxième projet avec plusieurs associés. Il s’intitule Sandouchon et c’est une sandwicherie péruvienne gourmet avec influence québécoise qui est très fréquentée. Fondée en 2014, elle se trouve à quelques pas du métro Peel, dans la foire alimentaire des Cours Mont-Royal.
Son plus grand rêve, l’ingrédient vital qui lui manquait, est venu par la suite : le Tiradito Resto Bar.
Pendant que Marcel Larrea savoure le rouvre d’un whisky, Julie Casals dirige le service à la clientèle et nous sert une bière artisanale d’une forte teneur en alcool. Le menu de Tiradito Resto Bar ne prend pas seulement en considération les goûts de prédilection des latinos, mais également ceux des autres commensales de cette ville cosmopolite.
« J’ai expérimenté peu à peu mes recettes. Pour moi, peu importe le concept que j’appliquerais, il y aurait tous les produits du Québec et l’influence péruvienne, toujours en mélangeant les produits pour leur donner cette saveur différente », explique Larrea.
Il nous révèle également les principes simples qui commandent le rêve de sa propre entreprise :
« Un directeur, c’est quelqu’un qui connait tout sur la gestion du personnel, mais qui des repas, sait seulement s’assoir pour manger. Le cuisinier sait administrer, compter la marchandise. Au bout du compte, quand le chef quitte un restaurant, tout s’écroule. Il est mieux alors que le chef ouvre son propre restaurant. Ces restaurants-là sont ceux qui durent le plus longtemps et évoluent le mieux. Je fais cela par passion, pas pour l’argent. C’est pour le succès. J’ai évidemment besoin d’argent pour vivre, mais voir grandir mon projet a une plus grande valeur ».
Il y a plusieurs restaurants de cuisine péruvienne à Montréal. Dans quelques-uns, la nostalgie se perçoit, accrochée sur les murs, dans des photographies, des peintures, des décorations. D’autres gardent des liens avec le style gourmet, un style qui, voilà quelques années, était dirigé par le chef Gastón Acurio pour amener la cuisine péruvienne à se faire reconnaitre au niveau international. « Les Français riaient de notre cuisine, affirme Larrea. Ils disent : des protéines avec des protéines; trop de carbohydrates ».
Tiradito Resto Bar s’est tourné judicieusement vers le prestige des portions gourmet, ce qui a été accepté avec satisfaction par beaucoup de latinos amateurs du traditionnel plat gargantuesque. En revanche, le palais des Montréalais est déjà habitué à cela : la modération a bien meilleur goût.
– Est-ce Montréal qui s’est adapté à la gastronomie péruvienne ou l’inverse?
– La culture de Montréal est diversifiée, répond Larrea. Le client conçoit la gastronomie de manière similaire à l’européen : des petites quantités. Les dimensions d’un plat latino-américain pourraient suffire pour six personnes ici. Si nous allons le partager, alors c’est mieux que ce soit déjà présenté en petites portions (tapas). C’est ça l’idée.
Tiradito, dont l’autre propriétaire est David Dumay, est aussi un bistrot où l’on peut boire du pisco sour, manger un ceviche de pieuvre, et discuter tranquillement avec le barman, avec les propriétaires ou avec un des cuisiniers qui nous traitent aux petits oignons derrière un large comptoir au centre de la salle à manger. Tout est à la vue et à la portée des appétits.
L’école culinaire qui a influencé ses recettes est la japonaise. L’idée de mélanger ces saveurs est venue à Marcel Larrea lorsqu’il a connu Yukata Abe en 2003. À ce moment, le Japonais était le chef du Primadonna, un restaurant italien, et le Péruvien cuisinait pour Meat Grill. « Récemment, j’ai appelé mon grand ami Yukata, nous raconte Larrea. Je lui ai commenté que nous pensions organiser une soirée dans laquelle nous allions marier la cuisine péruvienne avec la japonaise, et il a adoré l’idée. Au Pérou, c’est déjà d’usage. Et il n’y a pas de meilleur style que celui de Yukata ». Cette fête d’ingrédients a été surnommé « Pérou et Japon, soirée nikkei », un terme désignant les descendants des émigrants japonais établis au Pérou.
Les clients remplissent déjà le bar de Tiradito. Nous, nous sommes tentés par un copieux plat de pieuvre à l’olive. Impossible d’y résister. Marcel Larrea regarde à nouveau sa montre.
– Que vas-tu offrir à ta femme?, lui avons-nous demandé.
– Je lui ai concocté un voyage au Japon… Je parle d’un vrai voyage, un voyage surprise au pays du Japon!
Tiradito Resto Bar
http://tiraditomtl.com
1076, rue Bleury
Montréal, QC
H2Z 1N2
Carlos Bracamonte est un journaliste péruvien. Il est chroniqueur sur des histoires d’immigrants dans Noticias Montreal. Éditeur de revue Hispanophone au Canada. Lire plus d’articles de l’auteur.
César Salvatierra est étudiant péruvien en Études hispaniques à l’Université de Montréal et président du Comité latino-américain de cette même université (CLAUM). Il s’est spécialisé dans la promotion de la culture hispano-américaine à Montréal et à Québec. Il est rédacteur et responsable des relations publiques d’Hispanophone. Lisez plus d’articles de l’auteur.
Emmanuelle Richard est étudiante au doctorat en Littérature option études hispaniques à l’Université de Montréal. Sa thèse porte sur l’enseignement des variétés de l’espagnol dans les cours d’espagnol langue seconde/ étrangère. Elle est chargée de cours à la même université où elle enseigne la traduction espagnol-français et l’espagnol langue seconde.
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